Se sentir orphelin de sa société idéale et dépossédé de son avenir, c'est un sentiment dérangeant et frustrant. Il n'y a rien de pire je pense, pour quelqu'un qui vient de quelque part, de se dire que partout ailleurs est plus vivable et moins étouffant. On se regarde dans le miroir de sa société et ce qui s'y reflète nous effraie au lieu de nous rassurer.

Laisser aller et laisser faire, le mantra d'une société décadente.
On demeure souvent perplexe à l'issue d'une conversation sérieuse, de nature politique, avec un compatriote Mauritanien. On se demande toujours à la fin de la discussion, ce qui peut bien clocher entre la capacité de proposer une analyse, de poser un constat et l'amère réalité de la situation.
Pris individuellement, le Mauritanien moyen est généralement bien informé, plus ou moins politisé, capable de comprendre les enjeux de pouvoirs dans son pays et de distinguer la place de ce dernier dans le monde. Vous trouverez même des Mauritaniens, parfaitement aptes à vous décrire les ressorts psychologiques, qui animent et motivent leurs dirigeants.
Ce n'est pas pour autant qu'il faut en tirer des conclusions hâtives, du genre qui peuvent laisser accroire que nos sociétés se basent sur la primauté de l'individu. Cette notion de droit reste encore une grande inconnue chez nous, et l'individu est d'abord soumis à l'ensemble dont il ne demeure qu'une manifestation, parmi tant d'autres.
C'est la seule explication que j'ai trouvée, pour réconcilier l'image que je me fais des Mauritaniens que je connais et que j'ai eu la chance de rencontrer, avec l'inertie politique et sociale que je peux voir à l'oeuvre en Mauritanie.
Du fatalisme, de la paresse et de l'irresponsabilité.
Au cours d'une de ces innombrables causeries, un autre aspect sensible semblait poindre comme à l'improviste, de façon si régulière cependant, que je ne pouvais que le remarquer. Le recours quasi obligatoire de mes interlocuteurs au dogme du fatalisme.
Une fois qu'on avait dressé la liste des choses à changer, des méthodes et stratégies pour le faire, des objectifs à poursuivre et à atteindre, la réalité nous ramenait invariablement sur terre et le fardeau de notre héritage générationnel nous poussait à cette exclamation en forme d'excuse : "C'est le destin !"
Je crois que tout est question d'interprétation et qu'il est plus aisé de mettre sa paresse et son manque de volonté sur le compte du destin, que d'affronter les difficultés et de se mettre en danger pour le bien commun. C'est parfaitement humain et compréhensible, dans un moment de faiblesse, ne devant pas excéder dix minutes. Au delà, c'est complément inacceptable et inadmissible.
Vivre dans une société civilisée et profiter de ses fruits sans faire société, c'est une véritable gageure, à laquelle personne n'a décemment réussi à répondre. La civilisation n’apparaît pas par un coup de baguette magique ou en psalmodiant quelques incantations. C'est une oeuvre humaine partagée, qui s'ébauche d'abord dans les esprits et se traduit ensuite matériellement dans la réalité.
Nous avons de la chance, parce que c'est la marche du monde qui nous a mis dans la position singulière, de devoir manifester l'expression d'une société qui soit conforme à nos identités et à notre croyance. Nous sommes très loin du compte, je vous l'accorde avec consternation, mais nous n'avons au fond, pas vraiment essayé.
Si vous considérez un instant le fait que nous sommes passés du stade infantile, où l'on apprenait à nos grands parents ce qu'était un état-nation, au stade d'otage de la force militaire, où être un citoyen est un privilège et où vivre en démocratie est un leurre, destiné à contenter la galerie mais laquelle ?
Notre pays mérite que nous prenions nos responsabilités et nos compatriotes doivent savoir quelle image nous nous faisons de la Mauritanie que nous voulons construire ensemble.